Combien de personnes se disent spirituelles mais pas religieuses ? Combien de personnes croient en la possibilité d’une transformation, en la nécessité d’une communauté et en l’existence d’un au-delà bienveillant, mais perçoivent l’Église comme un lieu dénué de pertinence au mieux, ou un lieu de jugement et d’hypocrisie au pire ? Et puis, combien de personnes ont été ignorées, rejetées ou même maltraitées par des communautés religieuses ? À l’heure actuelle, le protestantisme traditionnel en Europe et en Amérique du Nord vit un long deuil. La relation entre la foi et la culture a considérablement évolué au cours de la dernière génération. L’Église est considérée comme ayant peu de rapport avec la vie quotidienne. Des guerres font rage, la pandémie nous a durement touché·e·s et la planète est au bord de l’autodestruction. Le monde a besoin d’un amour comme il n’en a jamais connu. Les personnes ont soif de connexion, de relations authentiques, de confiance, de reconnaissance de leur valeur en tant qu’êtres humains, valeur qui leur a été donnée par Dieu. Et elles ne trouvent pas cela dans l’Église.
Je rêve depuis longtemps d’une Église inclusive où je serais fière d’inviter mes ami·e·s d’autres confessions ou non-croyant·e·s. Je me suis longtemps demandé pourquoi l’église était un lieu nourrissant pour moi et pas pour elleux, et je pense que cela tient en partie à des expériences et perceptions négatives. Il me semble que la culture ecclésiale, en particulier la culture évangélique, a tendance à créer des barrières entre les personnes à l’intérieur de l’église et celles à l’extérieur. J’ai été la cible de nombreuses tentatives d’évangélisation spontanées, dont la plupart m’ont été assez désagréables. Mais pourquoi serait-il désagréable de recevoir la Bonne Nouvelle ? Je pense que c’est parce que la plupart des tentatives d’évangélisation partent du principe que l’autre n’est pas converti·e et doit donc l’être. L’autre est, par défaut, jugé·e inadéquat·e.
Au fil des ans, les théologien·ne·s ont accordé une attention croissante au langage de l’altérité. Iels se sont efforcé·e·s de promouvoir la pleine reconnaissance, l’inclusion et la représentation de nombreux groupes de personnes : les femmes, les minorités ethniques, les peuples autochtones, les personnes LGBTQIA+, etc. Et pourtant, une grande partie du langage liturgique insiste encore sur la distinction entre « nous » (les personnes dans l’Église) et « eux » (les personnes à l’extérieur). Un dimanche matin, j’étais en train de prier pour les réfugié·e·s et les autres personnes qui ont connu la guerre. Soudain, j’ai réalisé que la prière bien intentionnée que je récitais ne pouvait pas être récitée de la même manière par le réfugié érythréen assis devant moi. Ma prière, qui était censée être une prière au nom de tout le peuple, était une prière des chanceux·ses pour les malheureux·ses. Elle présupposait également que les chanceux·ses faisaient partie de l’Église, tandis que les malheureux·ses en étaient nécessairement éloigné·e·s. Cette association tacite entre la prospérité et la paroisse continue de me perturber, car je découvre à quel point elle est profondément ancrée dans la culture de l’église.
Depuis quelques années, l’Église méthodiste unie de Suisse s’efforce de s’éloigner d’une culture du « faire pour les autres » pour s’orienter vers une culture du « faire avec les autres ». Faire pour implique un déséquilibre de pouvoir et, dans les cas extrêmes, de valeur intrinsèque. Faire avec reconnaît que « l’autre » a une valeur, une identité et des talents qui lui sont donnés par Dieu, et qu’iel est déjà capable de partager avant même de recevoir la sagesse ou l’expérience que j’ai à offrir. Le modèle du « faire avec » considère la mission comme une hospitalité mutuelle, et non comme une voie à sens unique.
Tout cela a contribué à l’église idéale que je porte dans mon cœur : une communauté à laquelle je voudrais inviter mes ami·e·s, une communauté enracinée dans la vie locale qui l’entoure, une communauté ouverte aux murs perméables, une communauté où les personnes sont apprécié·e·s et aimé·e·s pour ce qu’elles sont, et non pour ce qu’elles pourraient ou devraient être, une communauté où les personnes sont encouragé·e·s et habilité·e·s à développer leurs dons individuels. Je ne m’attendais pas à ce que cela se réalise, mais j’espérais seulement en avoir un aperçu de temps en temps. Je n’avais certainement pas l’intention de fonder une nouvelle communauté.
Je suis devenue pasteure de l’Église évangélique méthodiste de Lausanne en février 2015. À mon arrivée, il y avait entre huit et dix fidèles le dimanche matin, et un enfant selon les statistiques. Deux ans plus tard, l’école du dimanche comptait vingt enfants inscrit·e·s et plus de trente personnes en moyenne assistaient au culte. Ce pic n’a pas duré très longtemps et, après la Covid, plusieurs dimanches ont vu entre quatre et six personnes assister au culte. La pandémie et le décès soudain de deux leader·euse·s clés n’ont pas aidé. Il y avait de quoi se décourager, mais en même temps, cette communauté m’a beaucoup inspiré·e. Bien qu’elle ne comptât qu’une vingtaine de membres inscrit·e·s, elle présentait une diversité étonnante, avec des membres originaires de Suisse, du Chili, du Brésil, du Congo, d’Angola, d’Érythrée et du Bénin. Les événements les plus mémorables de la communauté sont presque toujours accompagnés de mets et de vêtements provenant du monde entier.
À un certain moment, j’ai commencé à discuter avec d’autres pasteur·e·s méthodistes de Suisse romande. Nous nous sommes demandé·e·s s’il y avait un moyen de travailler plus étroitement ensemble. L’Église méthodiste en Suisse nous a fourni deux coachs en développement communautaire, et nous avons commencé à travailler intensivement pendant un an. Au cours d’une session de brainstorming mémorable, nous avons réalisé que plusieurs d’entre nous partageaient une vision très similaire de ce que pourrait être l’Église. Nous avons commencé à rêver de créer ensemble une nouvelle communauté, et peu à peu, une vision a émergé : celle d’une mosaïque où chaque pièce avait sa propre forme, sa propre couleur et sa propre texture ; celle d’un village où chaque villageois·e était encouragé·e à développer ses propres dons et talents pour le bien-être de toutes et tous. Comme Paul l’a rappelé aux Corinthiens, chaque partie du corps contribue au fonctionnement de l’ensemble. Nous ne pouvons pas et ne devons pas tou·te·s être identiques.
L’église méthodiste Village Mosaïque a ouvert ses portes en septembre 2022. Elle a été fondée par trois pasteur·e·s : Iris Bullinger, Claudio Da Silva et moi-même. Les membres de la communauté méthodiste existante à Lausanne ont voté pour faire partie de la nouvelle communauté. Nous restons ancré·e·s dans la théologie wesleyenne de la grâce et de la sainteté sociale. Notre communauté accorde une grande importance à l’émerveillement, à l’accueil inconditionnel, à l’unité dans la diversité et à la transformation. Nous nous sommes donné·e·s pour mission de créer des moments et des espaces de transformation afin de :
Notre particularité réside moins dans la forme et la structure de la communauté que dans l’intention qui anime nos actions. Nous accordons une grande importance à la collaboration interreligieuse, aux relations justes (justice, compassion et solidarité) et à l’accueil proactif des personnes trop souvent déshumanisées dans l’église et la société. La participation enthousiaste et les retours de personnes issues d’un large éventail de cultures, de milieux spirituels et d’âges témoignent de cet accueil. Notre mission façonne également la manière dont nous pratiquons le culte. Loin d’être un événement où nous sommes spectateur·rice·s ou consommateur·rice·s, le culte est pour nous un laboratoire où nous apprenons et expérimentons ensemble comment être justes, compatissant·e·s, courageux·ses – en d’autres termes, à l’image du Christ. Bien que nous n’en soyons encore qu’au début de notre existence et que certains défis subsistent (notamment celui d’habiter un bâtiment historique coûteux), nous continuons à faire confiance à l’Esprit, dont les voies surprenantes et mystérieuses nous ont amené·e·s jusqu’ici.
Erika a grandi au Kansas aux États-Unis. Formée en musique à Prague et à Emory University, elle a obtenu un master en théologie (Yale, 2007) puis un doctorat en histoire du christianisme (Boston, 2016). Après avoir exercé dans sept paroisses méthodistes aux États-Unis, elle a été pasteure de l’Église évangélique méthodiste de Lausanne (2015-2022), avant de contribuer à la création du Village Mosaïque.
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Une réponse
Merci Erika pour cet article relatant de manière détaillée et synthétique l’histoire de la création du Village Mosaïque et le pourquoi de ta passion théologique ! Je suis honoré de travailler avec toi et Iris et tou.te.s les Villageois.e.s.